STENDHAL (1783-1842).

Lot 225
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STENDHAL (1783-1842).
L.A., [fin septembre-début octobre 1804], à sa sœur Pauline BEYLE à Grenoble ; 5 pages et demie in-4, adresse. Très belle lettre nostalgique des moments heureux passés avec sa sœur dans la maison familiale de Claix. « Réponds-moi donc bien vite une grande lettre de détails sur Claix, sur ta position, sur ce que vous y faites. Quand ces choses n'auraient pas dans tous les temps beaucoup de prix pour moi, elles en auraient infiniment dans ce moment que rassasié des plaisirs de la Ville je ne soupire qu'après la Campagne. J'y serais avec toi, comme tu sais, si j'avais cru pouvoir en revenir quand il me plairait. Voilà comment la liberté, suite de l'équité, augmenterait le bonheur, mais souvent on a le bon cœur de vouloir le bonheur des autres sans avoir la bonne tête nécessaire pour en assurer les moyens. Tu vois que je pense tout haut avec toi, et que je saisis quand l'occasion s'en présente le moment de te dire en deux mots ce que de graves auteurs ont dit au milieu de deux volumes de pédanterie, mais retiens bien une fois pour toute que c'est là le plus mauvais ton que l'on puisse avoir dans une lettre, qui doit toujours être gracieuse, coulante et gaie. Quand tu écriras à d'autres qu'à moi mets toujours ces règles en pratique, et souviens-toi qu'il faut toujours chercher à ne pas déplaire avant que d'essayer de plaire. Autrement c'est vouloir courir avant que de savoir marcher et tu sais ce qu'il arrive alors. Je disais donc que je me fais une image charmante de Claix et que j'aurai bien du plaisir de m'y trouver avec toi au printems, mais ce plaisir sera encore gâté par l'idée qu'on le fera durer trop longtems. Les médecins me conseillent tous d'aller à la campagne, de tâcher de m'y amuser et d'y monter à cheval surtout. Ils m'ont déclaré nettement ce matin que l'habitude de réfléchir m'avait jetté dans une indolence naturelle qui serait très funeste avec mes obstructions, en un mot que si je n'avais pas recours à la Cavalerie je tomberais dans la Bradipepsie, de la Bradipepsie dans la Catalepsie, de la Catalepsie dans la Russie, et de la Russie dans la privation de la vie. Je crois cela très vrai de manière qu'il faut que je m'arrange pour avoir un cheval à Grenoble car cet état d'obstruction finirait par me rendre habituellement malheureux, et il est de trop bonne heure à 22 ans. Mais avoir un cheval voilà le diable, car comment y faire consentir mon père, à ce luxe effroyable, il y a un moyen qui est juste, c'est que je l'achète de mon argent, c'est-à-dire de celui qu'il a promis. Il faut donc que je tâche de bien consolider cette promesse de 100 ll par an. Alors en arrivant à Gr[enoble] j'achète un briquet de 25 L. et je le fais trotter jusqu'à ce qu'il m'ait ôté mon mal ou que je l'ai tué. Ainsi tu vois qu'il a un grand intérêt à ce que je guérisse, Chef-d'œuvre d'adresse dit Beaumarchais »... Il est sérieusement malade « depuis 15 jours, depuis 3 j'ai pris en si grand dégoût non pas toutes les choses de la vie, mais toutes les choses comestibles de la vie que je prends le triste Ipécacuana mêlé d'émétique après-demain. [...] Cette maladie qui est un embarras intestinal, et qui ne me gêne que par l'embarras de ma bourse, n'est rien au fond, mais elle me rend toujours incapable de bonheur 7 à 8 jours et de pareilles semaines finissent par composer une vie. Je suis donc fermement résolu à me guérir. Ce matin les savantissimi Doctores m'avaient tellement persuadé que sans le sacre [de Napoléon] je serais allé vous voir tout de suite, mais il serait nigaud de quitter Paris en ce moment »..., Il n'ira que dans cinq mois... « Cette lettre est bien sérieuse mais, ma pauvre petite, je suis si las de faire de l'esprit avec le corps et le cœur souffrant que je suis trop heureux de trouver a comprehensive soul. Pardon de ces 3 mots anglais, c'est une distraction, je les aime beaucoup parce qu'ils renferment une belle chose, presqu'intraduisible. Driden [Dryden] s'en sert pour exprimer que Shakespeare a une âme compréhensive, une âme qui comprend tous les chagrins et toutes les joies, qui a le plus haut degré de simpathie. Voilà le vrai baume d'un hom. que la sensibilité rend malade, cela est bien ridicule à dire, mais bien pénible à sentir, voir qu'il n'y a de bonheur que dans la rencontre d'une âme compréhensive, et se dire cette âme n'existe pas. Je lis les poètes cela me distrait. En dernière analyse, c'est le plus vif plaisir. Hier voulant lire 4 vers pendant mes nausées je parcourus tout Pompée de notre Corneille et je fus ravi. Les autres me paraissent bien froids. Tu sens bien que tout ce bavardage n'est que pour toi, il ne faut communiquer aux indiférens que les plaisanteries et les nouvelles, quand il y en a »... Correspondance générale, t. I, p. 210-213.
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